Un livre, un débatL'Allemagne revisite ses Affaires Etrangères
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Une administration, un ministère, celui des affaires étrangères d’Allemagne en l’occurrence constitue un excellent sujet de recherches historiques. C’est en substance ce que démontre le livre Das Amt und die Vergangenheit : Deutsche Diplomaten im Dritten Reich und in der Bundesrepublik publié à la fin de l’année dernière en Allemagne et entré tout récemment dans nos collections.

Ce travail de longue haleine mené par un quartet international d’auteurs (Allemagne, Etats-Unis, Israël) coordonné par Eckart Conze est loin d’être le premier sur le sujet. Accusé du reste par certains de n’apporter que peu de d’éléments neufs, il a nonobstant déclenché outre-Rhin une cascade de débats et polémiques de natures fort diverses. Allant de la désignation, pour certains problématique, de cette administration comme organisation criminelle « das Auswärtige Amt (A.A) als verbrerische Organisation », de la question de la continuité des personnels de l’époque national-socialiste à celle de la RFA naissante, en passant par les critiques plus classiques ayant trait à la méthodologie jusqu’à la question du financement et de l’indépendance de la recherche historique, le spectre est extrêmement large.

Cette étude est  le résultat du travail d’une Commission indépendante d’historiens nommée en 2005 par Joschka Fischer, à l’époque ministre des affaires étrangères, commission chargée d’investiguer le passé national-socialiste du Ministère, ses activités pendant la guerre mais aussi les années qui ont suivi. C’est la publication par l’Administration elle-même des nécrologies de fonctionnaires du Ministère retraités, par ailleurs anciens membres du parti nazi qui avait allumé la mèche. Joschka Fischer en avait interdit la publication et soumis la publication de nouveaux hommages à un examen attentif du passé des personnes concernées. Un collectif de diplomates s’était alors insurgé et avait fait publié dans la FAZ les hommages « refusés ». C’est la première fois qu’un ministre des affaires étrangères allemand se retrouvait en butte à l’hostilité ouverte d’une fraction de ses agents.                   

Longtemps entretenu par elle-même, le mythe de l’A.A comme administration « en décalage » par rapport à la nature fondamentalement dictatoriale du régime, voire creuset de la résistance au national-socialisme ne semblait pas tout à fait éteint. Ce « soulèvement des momies » « Aufstand der Mumien » en a sans doute été la preuve la plus criante. La réintégration de personnels très compromis sur des postes parfois pensés ad hominem était un fait avéré depuis longtemps : à cet égard la carrière d’un Franz Nüßlein (concerné par l’affaire des nécrologies) est exemplaire : membre du NSDAP, procureur général et référent pour les affaires de justice pénale au Ministère d’Etat allemand de Moravie-Bohème au faîte de sa carrière sous la dictature, il est ensuite réintégré en 1955 et envoyé à Barcelone en tant que Consul général jusqu’à sa retraite en 1974. La pratique de blanchiment (« Persilschein » ou « certificat de propreté ») et la solidarité étaient fortement ancrées. Le contexte de la guerre froide marquée par la prégnance du péril communiste et la nécessité pragmatique de refonder un Ministère opérationnel au plus vite semblent avoir encouragé ces pratiques. Du reste la refondation du ministère opérée en 1951 sous la houlette de Konrad Adenauer, et ses prémisses, constituent un moment passionnant de l’histoire allemande d’après 45.

Aujourd’hui où l’Allemagne peut prétendre jouer un rôle original dans le réseau diplomatique mondial, la pierre apportée par Eckart Conze et son équipe n’est sans doute ni la première, ni la dernière de l’édifice qui se bâtit autour de l’histoire de l’A.A. Eckart Conze l’a lui-même volontiers reconnu lorsqu’il est venu fin février présenter son rapport au Goethe Institut de Paris devant une salle comble. Après ce que l’on peut considérer comme la « première d’entre elle », il reste de fait aujourd’hui encore de nombreuses administrations, ministères et institutions dont il conviendrait d’étudier ruptures et continuités entre époque national-socialiste et époque postérieure.


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